Stoul/Boogie Woogie Sister n°3 (détail) - Alesko/Octotrap (détail)

jeudi 2 septembre 2010

Consommation de tableaux



Un blockbuster est un phénomène de société visant à « faire exploser le quartier » (littéralement) et pour être « in », il faut l'avoir vu, l'avoir adoré ou détesté et être capable de débattre de son succès. La surenchère médiatique est telle sur ces blockbusters qu'il devient impératif socialement de s'y rendre et presque aussi impératif de les apprécier.

« Blockbuster », terme généralement appliqué au cinéma, il s’impose également dans les musées : dans les années 1970, le directeur du Metropolitan Museum of Art (New York) Thomas Hoving fut l'un des premiers à faire entrer le musée dans la culture de masse, avec la création de ces grandes expositions à succès, destinées à attirer le maximum de personnes.

Aujourd'hui, près d'un tiers des Français se pressent chaque année dans ces expositions à gros budgets, ce qui en fait la deuxième sortie culturelle après le cinéma. Une fréquentation qui ne semble pas être affectée par la crise, car les adeptes des expositions blockbuster sont toujours prêts à faire la queue pendant des heures, qu’il pleuve ou qu’il vente, à débourser une dizaine d'euros puis à défiler en rangs serrés devant des œuvres qu'ils ne pourront consommer admirer qu’à la va-vite, mais parfois jusqu'au bout de la nuit - le Grand Palais a ouvert 24h/24 pour la fin de Picasso et les maîtres début 2009 -, avant de se retrouver à la dernière étape de ce parcours consumériste : l'inévitable boutique-cadeaux, temple du produit dérivé qui sert à rentabiliser la production de l'expo à coups de souvenirs souvent très kitch. A la sortie, on a l’impression d’avoir consommé des tableaux comme on avale un hamburger dans un fast food et la quantité d'œuvres prime évidemment sur la qualité de la visite.

Pour faire une expo blockbuster, il faut : un artiste tourmenté, une approche soi-disant nouvelle sur son œuvre, et l'opportunité unique de voir une réunion exceptionnelle d'œuvres dispersées dans le monde entier. Parmi les expositions d'art qui remportent les plus gros succès : l'Egypte, les impressionnistes, les artistes maudits (Van Gogh, Modigliani) ou les grandes figures de l'art moderne, ce que confirment les récents succès de Picasso et les maîtres au Grand Palais et Kandinsky au Centre Pompidou (plus de 700 000 visiteurs chacune). Le Musée de la Monnaie de Paris a affiché 150 000 visiteurs au compteur pour la rétrospective de David LaChapelle ; la Pinacothèque a totalisé 200 000 personnes pour l'exposition Valadon-Utrillo. Plus récemment, il y a eu aussi Munch ou l'anti-Cri à la Pinacothèque ou Sainte-Russie au Louvre, et à venir à la fin de cette année, Claude Monet au Grand Palais, ou Jean-Michel Basquiat au Musée d’Art Moderne, qui viendront grossir les rangs des expos blockbusters.

L’évenementialisation de l’art paraît inévitable et se constate aujourd’hui avec des expositions « d'artistes » faussement provocateurs mais véritables business men, comme Jeff Koons avec son homard à Versailles ou Damien Hirst et ses veaux et autres bestioles coupées en deux et plongées dans du formol. Selon Jerry Saltz, le célèbre critique d’art du New York Magazine, écrivant à propos des expositions de Koons à Versailles et au Met de New York en 2008, « tout cet art de foires flashy et ces installations hyper-produites et consommatrices d'espace bluffent un instant, jusqu'à ce qu'on passe au prochain événement générateur d'adrénaline », qu'il qualifie de « manières bêtes de dépenser de l'argent, séduire les ploucs, ne rien dire et mettre de côté ce qui serait plus petit, plus discret ou plus risqué ».



fluctuat.net, wikipedia.fr

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